Le bon mec

 Le jukebox brillait de tout ses chromes et exposait sans vergogne son mécanisme rempli de 45 tours dans la petite salle. Il trônait somptueux au milieu des tables et des chaises en aluminium. La plupart étaient occupées par des groupes de jeunes filles qui consommaient sagement des jus de fruits ou en tout cas des boissons non alcoolisées. Il y avait toujours beaucoup de monde, les garçons était debout près du bar en chemise déboutonnée et les filles portaient des robes légères serrées à la ceinture. La jupe en général était large, elles la faisaient virevolter quand elles dansaient. Car on y dansait dans ce petit local ouvert dès la sortie des écoles. Les jeunes gens avaient à peine seize ans et pas beaucoup plus.

Ce jour là, le local était presque plein, la fumée était dense, on y fumait beaucoup et il faisait chaud. Le jukebox turbinait sans arrêt, la machine mangeait les tunes, les couples dansaient en n’en plus finir, Twist and shout hurlait John Lennon et tous twistaient rageusement.

Un couple au milieu d’eux occupait tout l’espace, un beau garçon, teint bronzé, cheveux brun et court, pantalon large, yeux marrons scintillants faisait tourbillonner une jolie adolescente dans un boogie woogie saisissant. Elle portait une grande jupe noire qui n’arrêtait pas de voltiger au rythme de ses chaussures sportives, une blouse noire, des cheveux noirs recueillis en arrière, une grosse mèche vers l’avant encadrait un visage pâle marqué par des lèvres sensuelles et bien rouges. Petit à petit, les autres s’arrêtèrent pour admirer ces danseurs quasi acrobatiques et tellement brillants. La chanson termina, on les applaudit et les filles lancèrent des cris aigus. 

Le jukebox opportunément choisit alors I Can’t Stop Loving You par Ray Charles. Un slow, Maria accrocha tendrement ses bras au cou de Carlos, appuya tout son corps moulu par le rythme sur le torse musclé de son compagnon. Elle aimait danser avec lui, mais elle le connaissait à peine. Les classes n’était pas encore mixtes. Il s’était connu à la fête de l’école, la danse les avait réunis et depuis ils se rencontraient quelques fois à l’Esquinade, le local était proche de l’école.

Carlos, n’était pas comme les autres, il ne fumait pas, ne s’intéressait pas au football, normalement il ne buvait pas, c’était comme on dit un bon élève. Toujours un peu à l’écart, il n’était guère apprécié par ses compagnons. La danse, c’était différent, sa mère lui avait fait prendre des cours, il aimait ça et cela se voyait. Il adorait retrouver Maria à l’Esquinade, il pouvait ainsi danser avec une fille de son âge, et quelle fille! Elle avait un corps parfait, souple et ferme, qui savait aussi devenir caressant. Comme en ce moment. Il avait peur qu’elle rapproche son bassin. Elle allait savoir. Maria n’en avait cure, son corps n’obéissait qu’à la musique, collé à Carlos il se balançait lascivement. À la fin du disque, sur la pointe des pieds, elle embrassa gentiment son ami, le remercia et rapidement elle salua ses copines et s’en fut.


Quelques semaines plus tard, Lena un grande blonde qui ressemblait a Brigitte Bardot pour le foulard qui entourait négligemment ses cheveux relevé en un énorme chignon entra avec décision dans la classe de littérature. Elle était suivie par un groupe de fille dont Maria faisait aussi partie. Carlos la regarda tout étonné, quand Lena s’assit à ses côté en retroussant sa mini jupe. Un sourire irrésistible traversa l’ovale parfait de son visage. Elle murmura:

—Tu permets?

Carlos acquiesça de la tête tandis que les garçons dans le fond de la classe lançaient des lazzis et des coups de sifflets. Carlos était toujours assis au premier rang seul, les filles s’installèrent naturellement auprès de lui à l’avant de la classe. 

La professeur annonça que dorénavant les jeunes filles participeraient à la classe de littérature, ce qui déclencha d’autres réactions peu aimables. Sèchement, cette dernière réclama le silence, les garçons se turent, ils la connaissaient, elle n’était pas avare de sanctions impitoyables. 

Entretemps Lena avait sorti son cahier, qui ressemblait plus à un journal intime qu’à un carnet de notes. À chaque page qu’elle tournait, était insérée la photo de quelqu’acteur ou chanteur plus ou moins entourée de fleurs et de petits coeurs de couleurs diverses. Elle apprit une nouvelle page, écrivit la date et le titre : Cours de littérature de sa jolie écriture bien ronde et souligna soigneusement le tout avec une règle. Elle se pencha vers lui, une bouffée d’air parfumée à la verveine monta de son corsage.

—Tu aurais une belle photo, je voudrais dédié cette page à mon nouveau compagnon de banc. Un belle en couleur s’il te plait.

Il la regarda à nouveau, ne sachant que dire. Elle avait la mine d’une petite fille prise en faute qui demandait pardon. La professeur le foudroya d’un regard menaçant. Il était un mâle, donc il ne pouvait qu’être coupable. Lena se redressa avec sa fierté innocente et lui lâcha avec un air de reproche :

—Nous t’attendrons avec les copines à l’Esquinade après les cours.

Quand Carlos entra, les quatre filles étaient déjà assises à une table dans le bar dancing. Lena prit inmediatamente la parole :

— Comme tu vois nous sommes toujours en tenue pour aller en classe. Nos parents ne sont pas prévenus. Nous voulions seulement arranger une soirée ensemble pour mieux se connaitre, maintenant que nous sommes dans la même classe et que tes petits camarades ne semblent guère nous apprécier. — dit-elle avec un sourire carnassier. Que penses-tu de ce Vendredi a huit heures du soir dans ce local qui me parait adéquat, rentrée avant minuit bien sûr?

Carlos regarda Maria, elle détourna la tête, Marta et Julia lui dédièrent leurs sourires imperméables. Il répondit qu’il devait demander l’autorisation à sa Mère. Léna qui était déjà debout, partit d’un éclat de rire spontané et sans vergogne l’embrassa du bout des lèvres sur la bouche.

— À demain, —dit-elle, et elle le poussa vers la porte.

Maria la fulmina du regard.

— Ne le traite pas de cette manière, Carlos est un brave garçon.

— C’est cela, tu veux te le garder pour toi, toute seule. C’est ton fiancé peut-être? Non. Eh bien la compétition est ouverte. C’est un fils à Papa, un des plus gros marchand de la ville. Jamais il ne voudra d’une fille comme toi, une fille de rien, la fille d’un ouvrier.

Maria voulut la gifler, mais son amie Marta la retint. Alors elle prit son sac et elle s’en alla en claquant furieusement la porte. Marta courut derrière elle.

Elle la rattrapa aisément, elle était très sportive et c’était d’ailleurs pour cela qu’elles se connaissaient déjà. Courants de conserve elles étaient arrivées au parc où justement elles s’entraînaient quelques fois ensembles, après quelques centaines de mètres, Maria s’arrêta et s’assit sur un banc. Marta la rejoignit.

— Tu es amoureuse de Carlos? Il est très mignon ce type, je dois reconnaitre.

— Noooon! Je le connais de l’Esquinade, nous dansons ensemble le boogie. Il est très fort, nous formons un bon couple.

— Allez, ce n’est pas vrai, je vois bien comme tu le regardes et le défends.

— D’accord, il me plait, mais je le connais à peine. Il ne m’a jamais offert un verre.

— Bon, mais tu sais maintenant que Lena a jette son dévolu sur lui.

Maria la regarda un peu perplexe. Marta était plus grande qu’elle, musclée elle était pourtant très mince. Les cheveux blond assez long, ce n’était pas sa couleur naturelle bien sûr. Les yeux marrons foncés, on ne pouvait pas dire qu’elle était belle, par contre on la sentait honnête et directe, très sympa.  


Le magasin des parents de Carlos avait deux entrées. En fait il s’agissait de deux maisons qui se trouvaient dans deux rues qui formaient un angle droit et qui se rejoignaient par l’arrière pour former un unique bâtiment. Le rez-de-chaussée constituait ainsi un grand espace de vente. D’un côté, sur la rue principale, les étages d’habitation de l’autre les bureaux et l’entrepôt. C’était assez important, on y vendait de la quincaillerie, des accessoires et de la peinture pour automobile et des ustensiles ménagers. L’entreprise qui fonctionnait aussi comme grossiste dans toute la région appartenait à deux frères et une soeur. L’un d’eux, son père Luis, était le directeur et sa mère dirigeait les bureaux. Carlos qui était l’ainé de tous les enfants dans la famille, était considéré par tous comme l’héritier. 

Il entra par la partie ustensile ménager, dans la plus petite rue, les bureaux étaient juste au-dessus. Il monta quatre a quatre les escaliers en spirale, il déboucha dans une grande pièce, sa mère était dans l’angle gauche près de la fenêtre. Son bureau était un peu plus grand que les autres, une énorme machine qui faisait les factures l’encombrait. Elena, était une grande et belle femme blonde, elle se leva en le voyant arriver, ouvrit les bras et l’accueillit avec effusion comme s’il ne s’était plus vu depuis longtemps.

— Raconte-moi tout mon grand, —dit-elle en souriant et en jetant un oeil à sa soeur Cristina qui s’était approchée.

Elena l’autorisa bien sûr à rencontrer les filles en fin de semaine, se fit préciser où était l’Esquinade et lui recommanda de ne pas dépasser l’heure. 

— Va étudier dans ta chambre à présent, on se vera au diner.

A peine était-il sorti, en empruntant un corridor qui le portait á l’autre maison, que Cristina demanda:

— Qui sera cette Lena? Comme il nous la décrit, j’ai l’impression qu’il s’agit de la fille de cette salope de Gloria. Non seulement Luis s’affiche dans toute la ville avec elle, mais maintenant c’est sa fille qui courre derrière ton fils.

— Ah! Mais cela ne vas pas se passer comme cela. J’y mettrai bon ordre. — décréta la mère de Carlos.


Le surlendemain jeudi, il n’y avait pas classe l’après-midi, après la récréation par contre il y avait à nouveau littérature. Les filles était déjà en classe, Lena accueillit  Carlos, toujours court vêtue et avec sourire de propriétaire, elle se leva pour le faire passer et lui donna au passage un baiser que tous ne manquèrent pas d’entendre. Il remarqua l’absence de Julia, et en eut l’explication en ouvrant son cahier.

Carlos, je dois m’absenter pour raison médicale. On me dit que tu es le meilleur élève en littérature. Je sais bien sûr où tu habites, je me permettrai de passer te voir cet après-midi, pour que tu me mettes à jour. Merci d’avance.

Le billet était écrit soigneusement au porte-plume sur une demi feuille de cahier qu’elle avait glissée dans le sien. Au fond il était flatté, jamais un de ses condisciples ne lui avait demandé un service de ce genre et en plus il était content que ce soit un fille qui le fasse.

Après le déjeuner, qu’il avait pris avec sa tante Cristina et son frère, sa mère ce jour-là était en voyage, Julia se présenta. La fille de service la fit entrer au salon. Elle fit bonne impression à sa tante. Elle portait des pantalons noirs qui arrivaient aux chevilles et un t-shirt de la même couleur. Avec sa coupe de cheveux, elle faisait très garçon. Sa tante fit servir le café et Julia et lui montèrent ensemble à l’étage où il avait sa chambre. Julia le précédait, il ne put que percevoir que son corps et le parfum naturel qu’il dégageait lui faisait de l’effet. 

Quand Julia pénétra dans sa chambre, elle s’arrêta brusquement, Carlos qui ne  s’y attendait pas l’emboutit comme une voiture qui eut freiné brusquement devant lui. Il se retira en rougissant. S’était-elle rendue compte de l’état dans lequel il se trouvait? Il regarda le mur de sa chambre comme s’il y entrait pour la première fois.  Une grande reproduction surréaliste de Dali couvrait en grande partie le mur devant lequel était installé son bureau: Sueño causado por el vuelo de una abeja alrededor de una granada un segundo antes del despertar. Cet oeuvre lui plaisait particulièrement, mais elle n’était pas la seule, Delvaux et Magritte étaient aussi présents, beaucoup de nudités dans des situations incongrues, en vérité. C’est sa mère Elena qui lui avait donné le goût pour les surréalistes, elle l’avait conduit dans leurs expositions et lui avait offert de belles reproductions pour décorer sa chambre. «À son âge, il vaut mieux cela que ces horribles magazines qui circulent parmi les adolescents», confiait-elle à sa soeur.

— Tu as bon goût, —dit Julia sur la pointe des lèvres.

Il prit son cahier dans sa mallette et le lui consigna, puis s’assit à côté d’elle. Elle le regardait, la poitrine bien dressée, ses seins pointaient sous son t-shirt. Elle ouvrit le cahier, sur la premier page il y avait un quatrain :

Elle s’envole, son corps brûle et s’envole
Mes bras comme une alcôve la reçoivent
Elle repart, comme une folle, elle tourbillonne.
La chanson s’étiole, et mon coeur s’envole

Julia, le lut. Interloquée, le relut encore. Alors Carlos gentiment tourna les pages jusqu’à la leçon à réviser. 

— Victor Hugo, —s’exclama-t-elle, — Notre Dame de Paris. Tu aimes? C’est mon préféré.

Et sans plus attendre, elle recopia soigneusement les notes, posa beaucoup de questions. Carlos manifestement l’avait déjà lu et avait réponse à tout. Julia dû reconnaître qu’elle ne connaissait que le film. 

Elle le regarda un long moment, se leva, s’approcha de L’éloge de la mélancolie de Delvaux qui dévoilait impudique une femme abandonnée. S’imprégna de son triste regard, se tourna vers Charles, lui posa un baiser à la commissure des lèvres et se congédia.


Marta éclata de rire quand Julia lui raconta le lendemain son rendez-vous avec Carlos. Elle portait sa tenue sportive d’entrainement, très ajustée, son ventre à découvert, et les fesses relevées par un culotte renforcée à cet effet.

— Il est amoureux de Maria, j’en étais sûre. Mais c’est sa mère qui remplit sa chambre de Delvaux, il faut le voir pour le croire.

Elle parti en courant et lança encore a Julia.

— Je vais voir si je ne le rencontre pas au parc. On ne peut pas le laisser à la merci de Lena.

Les grands marronniers qui protégeaient le parcours émettaient un bruissement  qui scandait le rythme de sa course. Ses longues jambes fonctionnaient à plein rythmes, son corps semblait jouir dans l’effort, sa peau avec la sueur devenait brillante. C’est alors qu’elle le vit, lui aussi ils courrait, un débardeur trop large flottait autour de son torse nu, il était synchronisé avec elle, et sentait son coeur battre avec le sien. Elle le rejoignit et courut un moment avec lui, puis tous deux ralentirent, s’arrêtèrent, et sans rien dire elle lui passa les bras autour du coup, plaqua son bassin contre le sien, pressa, pressa jusqu’a sentir sa satisfaction qui ne fit que rejoindre la sienne. Il voulut l’embrasser, mais elle le repoussa en ajoutant ces mots.

— Nous aussi les femmes nous désirons les hommes. Une femme amoureuse attend un geste.

Elle repartit en courant.


L’Esquinade à 7 heures  était à peu près vide. L’école un vendredi était finie depuis longtemps. Les jeunes rentraient chez eux pour aller dîner et ils ressortaient après. Vers 8 heures ils commenceraient à arriver. Personnes ne fit attention à deux jeunes femmes qui entrèrent résolument. On les auraient prises pour des soeurs jumelles, chacune habillée avec une petite robe droite genre Chanel qui s’arrêtait au genou. C’était Elena, la mère de Carlos et Cristina, sa tante, toutes deux portaient une perruque châtain et des grosses lunettes foncées en forme de coeur. Elles s’installèrent dans un recoin près de la porte d’entrée, d’où elles voyaient tout. Si elles devait susciter plus d’intérêts qu’elles le désiraient elles refuseraient d’aller danser, bien que ce ne soit pas l’envie qui manqua.

Bientôt les premières jeunes filles arrivèrent. On se serait cru à Carnaby street. Toutes habillées plus courtes les unes que les autres. Julia et Marta arrivèrent ensembles et occupèrent la table stratégique qu’elles avaient réservées près du jukebox. Marta portait une petite robe droite très courte de couleur jaune, ses cheveux était remonté en un haut chignon comme c’était la mode. Sa robe était largement découverte dans le dos, elle avait renoncé sans problème au soutien-gorge. Julia avait choisit un petite jupe plissée écossaise qui cachait bien peu de sa petite culotte quand elle bougeait. Ses cheveux noirs était coiffés courts et son corsage était blanc et très transparent. 

Un peu plus tard, son entrée fut fort remarquée, ce fut le tour d’une jeune fille en manteau blanc, coupe Courrège, c’est à dire en forme de trapèze, les cheveux marrons foncés coiffés en forme de casque, une perruque bien sûr. Elle ouvrit son manteau avec les deux mains, le laissa descendre derrière elle comme le font les mannequins, découvrant ainsi une robe blanche, trapézoïdal et ultracourte avec sur un côté trois énormes cercles transparents qui laissaient clairement entrevoir la naissance des seins et les courbes de la taille et des fesses.

— C’est Lena, —dit Elena a Cristina à mi voix. —Comment a-t-elle pu se procurer cette robe de haute couture? Cette fois, ce ne sera pas Luis qui paiera. —Ajouta-t-elle, je contrôle toutes les dépenses sous la supervision du conseil d’administration. La soeur et le frère ne seront sûrement pas d’accord de payer ce genre de folie à la favorite en titre.

Lena se dirigea, aussitôt vers la table des filles, déposa le manteau et sans saluer personne s’installa devant le jukebox, se mit à étudier la liste des titres. Elle choisit Let’s Twist Again de Chubby Checker et quelques autres du même chanteur. Le tambour inicial ne laissait aucun doute, c’était un twist, et le spectacle commença. Les garçons  qui trainaient leur nonchalance au bar, se figèrent, leurs yeux semblaient sortir des orbites, puis l’un deux plongea dans le rythme incandescent qui déchainait Lena. Sa robe découvrait par instant une partie de l’orgueilleuse beauté de son corps. Bientôt tous dansèrent autour d’elle comme les adorateurs d’une païenne divinité africaine.

Elena était furieuse, elle voulut se lever et combattre l’ignoble danseuse qui semblait la défier. Cristina la retint impérieusement, d’ailleurs Marta, puis Julia avaient laissé leur siège pour se mêler au groupe des mâles et offrir, dans cette espèce de Sacra della Primavera que Béjart aurait actualisée, d’autres corps femelles à la concupiscence des mâles.


Maria avait attendu le dernier moment pour se préparer. Elle ne savait pas si elle devait aller à l’Esquinade. Elle adorait danser avec lui, mais cette soirée ne serait pas comme les petites escapades après les cours, quand elle se retrouvait épuisée dans les bras de Carlos après un boogie effréné. Elle voyait déjà comment se vêtirait Lena, elle serait outrageusement sexy. Elle accaparerait l’attention de tous et de Carlos certainement. Marta lui avait tout raconté, il ne résisterait pas.

Elle passa un simple pantalon jeans su une petite blouse à carreaux et des chaussures sportive, sortit et se dirigea vers le parc. Non elle n’irait pas, elle ne voulait pas lutter avec les autres filles et surtout pas avec cette  stupide Lena pour séduire ce garçon. Il était sympathique bien sûr, il dansait comme un Dieu et il était attractif, cela elle devait le reconnaitre …

Elle s’assit sur un banc qui semblait lui tendre les bras, l’accueillir comme un tendre amoureux, et voulait passer avec elle un soirée romantique sous un ciel de velours violacé pour écouter les confidences trop intimes que sa conscience ne voulait pas dévoiler.

Des étoiles brillaient dans le ciel de ses pensées, le poème, les peintures, Dali, Delvaux, Victor Hugo, la course, … tout ce que Marta lui avait rapporté et qui ne faisait qu’augmenter la confusion de ses sentiments.

Un ombre derrière elle se fit percevoir, elle se retourna, un sourire la regarda, et lui dit simplement:

— Allons-y ensemble.


Quelqu’un avait choisi quelques slow pour interrompre la chaine interminable des twists, les couples se formaient, la musique lente favorisait les rapprochements. Julia dansait étroitement embrassée à un beau garçon qui selon elle ressemblait à James Dean. Elle ne semblait pas intentionnée à le lâcher. Marta qui n’avait pas encore trouvé de chaussure à son pied, avait regagné la table où elle discutait avec animation avec Lena qui disait:

— Ou sont-ils, nom d’une pipe? Il est déjà neuf heures et ils ne sont pas là, ni l’un, ni l’autre. Qu’est ce que cela veut dire? Je n’aime pas cela.

Elle n’était pas la seule à s’inquiéter. Elena interrogeait Cristina:

— Cristina, où peut bien rester Carlos? Nous sommes parties tôt pour venir ici. Je ne pensai pas qu’il pourrait être en retard.

Soudain la porte s’ouvrit Maria entra avec Carlos, ils se tenaient par la main. 

Carlos reconnu sa mère à l’instant, la fusilla du regard et accompagna Maria au jukebox. Elle introduisit les tunes et les codes qu’elle connaissait par coeur. Ils ne regardèrent personnes, et se retournèrent vers la piste qui se vidait lentement comme pour leur laisser la place.

Trois accords de guitare marqué par la batterie comme un point d’interrogation, et la voie couleur de miel du grand Elvis se déchaîna dans un Jailhouse rock infernal. Carlos et Maria, comme s’ils avaient reçu une décharge électrique se mirent à sautiller soutenu par le rythme d’enfer de la chanson, il la faisait pirouetter au bout de son bras, la rattrapait par la taille, la relançait, la reprenait pour la glisser entre ses jambes et la relevait sous les applaudissements sans s’arrêter de sautiller brillamment. Tous dans le bar s’était levé et les regardaient avec enthousiasme.

Lena hurlait. Elle était furibonde, on l’avait dérobée. Cette salope, cette Maria, lui avait volé le garçon qu’elle avait choisi. Elle prit une chaise et de toutes ses forces elle la lança dans les jambes de la danseuse. 

Maria s’écroula, Carlos se précipita. Elena se jeta sur Lena, la gifla plusieurs fois et la poussa dehors. Elle courut vers son fils, mais lui n’avait d’yeux que pour sa Maria qu’il tenait serrée dans ses bras.

— Mon amour, mon amour, —criait-il terrorisé à Maria qui semblait ne pas le voir. Alors il lui donna un long, long baiser d’amour, elle ferma les yeux en le lui rendant.



Jean Claude Fonder