La petite fille aux cheveux bruns et aux yeux verts  

Il y a longtemps j’ai connu une petite fille. Cheveux bruns, yeux verts avec une légère teinte noisette. Elle avait un papa, une maman et une sœur. Une belle petite famille quoi. Jusqu’au jour où les choses ont changé. 9 ans. C’est l’âge qu’elle avait le jour où on lui a annoncé cette nouvelle qui a changé sa vie. Peut-être qu’elle était simplement trop jeune, mais elle a eu du mal à comprendre pourquoi le visage de sa mère s’était décomposé après avoir reçu ce coup de fil. Elle ne se doutait pas qu’après cet appel, plus rien ne serait plus jamais pareil. Son premier réflexe avait été de faire un câlin à sa maman. Elle n’a pas pleuré, elle n’a pas crié, elle a juste posé des questions. A ce moment précis c’était comme si elle avait compris que dorénavant ça allait être son rôle de garder sa famille en place. Elle est retournée à l’école peu après ce terrible accident, et elle y est retournée pleine de joie de vivre, comme si rien n’était arrivé. Elle ne comprenait pas pourquoi tout le monde venais lui parler, lui faire des câlins lui disant qu’elle était « forte ». Ses professeurs s’inquiétaient de la voir aussi calme parfois. Certains se disaient que c’était bien, comme d’autres se disaient qu’elle ne réalisait simplement pas l’impact que cela allait avoir sur elle.

Elle entend sa mère pleurer tous les soirs, et c’est pire quand c’est la fête de pères ou encore son anniversaire. Sa mère n’aime pas parler de lui, trop de souvenirs douloureux peut-être ? C’est ce qu’elle se dit en tout cas. Elle a toujours voulu garder un bon souvenir de lui, c’était sûr. Elle dit toujours qu’elle le vit bien, qu’elle a fait son deuil, qu’elle a appris à vivre avec, quoi. Elle en rigole même. Elle n’y pense même pas en général. Certains dirons qu’elle était simplement trop petite pour s’en rendre compte, ou même de se rappeler de lui, mais je pense plutôt qu’elle a simplement vécu avec cette espèce de bandeau sur les yeux ces sept dernières années. Un bandeau qui lui permettait de ne ressentir aucune douleur, appart cette petite pique au cœur qui lui viens soudain en voyant d’autres filles avec leurs papas. Elle n’y a jamais trop réfléchi en réalité, à son père, aux séquelles qui auraient bien pu lui rester… Ce bandeau, elle le garde car elle n’a pas le droit de craquer. Elle ne peut pas se laisser aller. Ce n’était qu’une enfant à l’époque, certes, mais elle savait que pour sa maman, pour sa sœur, pour sa famille, elle ne pouvait pas craquer, alors elle ne l’a pas fait. Je sais que vous allez sans doute me dire que personne n’attend d’une petite fille de 9 ans de ne pas craquer après un évènement pareil, mais dans sa tête, elle ne pouvait pas. Elle a essayé de protéger sa maman et sa sœur, donc elle a gardé tout enfoui en elle, espérant que cela enlèverait un poids de leurs épaules de se dire qu’au moins, elle allait bien. Elle ne pouvait pas faire grand-chose d’autre. Elle leur faisait des dessins pour qu’elles ne soient pas trop tristes en devant trier les papiers d’assurance, elle essayait dès les faire rire en leur racontant des blagues, mais pendant un moment en tout cas, rien n’avait l’air d’aider. Malgré tout, cette petite fille si douce et si innocente avait besoin de son papa. Toutes les jeunes filles ont besoin d’un père en réalité. Ce héros qui est là pour prendre soin de nos blessures et guérir nos chagrins. Elle en avait besoin, mais malheureusement le destin en avait décidé autrement.

On ne parle pas assez des parents qui partent si soudainement, sans prévenir. « Prends soin de ta maman pour moi, d’accord ? » c’étaient les derniers mots qu’il lui avait dits, et donc elle le fit.

Cette petite fille va devenir grande, bientôt elle aura 16 ans. Elle n’aura pas changé. Elle voudra toujours protéger sa maman, même si elle se rendra compte qu’elle ne pourra pas adoucir sa peine. Elle ne parlera toujours pas de son père, ou en tout cas pas des conséquences que son décès aura bien pu avoir sur elle. Elle n’y pensera même pas avant qu’une de ses amies lui en parle vraiment, de son papa, son héros, son meilleur ami. Elle n’aura pas une adolescence facile après son départ. Certains garçons idiots lui piétineront son cœur, elle souffrira en ne voyant que des défauts en scrutant chaque petit centimètre de son corps devant son miroir, elle se sentira honteuse et humiliée après une malheureuse rencontre, elle va commettre des erreurs, et elle perdra des amis. Elle sera blessée et elle blessera en retour. Les gens blessés blessent après tout. Elle se demandera sûrement si tout cela serait arrivé s’il avait été là. Mais pour des tristes et évidentes raisons, elle n’aura jamais de réponse à cette question qui lui trottera sans cesse dans la tête. Cette petite fille aux cheveux bruns et au yeux verts, elle ne sait pas encore ce qui l’attends, mais je sais qu’elle va s’en sortir. Comme les gens le lui ont dit, elle est forte après tout. Pas vrai ?

Bruxelles, le 13 juin 2023